Environnement fédéral sportif FFTT

Paul De Keerle : « Le haut niveau sert de moteur de recrutement, c’est un moyen mais pas l’objectif »

INTERVIEW PAUL DE KEERLE ANCIEN DIRECTEUR GENERAL DE LA FFTT ET ANCIEN DIRECTEUR ADMINISTRATIF ET FINANCIER DE LA FFR :

L’écosystème des fédérations sportives paie son faible investissement en profil de DATA SCIENTIST

« Ne progresse que ce qui se mesure » cette maxime résume à elle seule la vision de Paul De Keerle lorsqu’il endosse le rôle de dirigeant-cadre fédéral.

A travers cet échange, il nous dresse un état des lieux de l’environnement fédéral sportif, des tendances générales, des problématiques dans la gestion des systèmes d’informations et notamment des données.  Son point de vue sur le rôle de l’exploitation de ces données dans l’acquisition et la fidélisation des licenciés pour les fédérations se construit principalement par l’analyse et le traitement de la donnée licencié.

Il conseille des fédérations sur la compréhension de l’évolution de leurs licenciés et continue de suivre de très près l’activité du rugby en France.

 

Quel est la conjoncture actuelle autour de la FFTT, notamment post Covid ?

La fédération est arrivée à rattraper son niveau ancien grâce à une arrivée plus importante de nouveaux licenciés qu’habituellement et notamment les licences promotionnelles (loisirs) et du travail mené sur ce type de joueurs.

Cependant, la perte de licences traditionnelles (compétition), environ 20% chaque année, a été de 28% lors de la saison 20/21. Ce surplus de pertes de licences (7.000) a été perdus très certainement définitivement.

 

Paul, après vos expériences au sein de deux fédérations majeures, quels sont pour vous les objectifs de ces structures ?

De mon point de vue, les structures fédérales ont comme rôle principal de participer à l’éducation des jeunes sur le territoire français, d’améliorer la santé des Français et de leur bien-être, tout cela via la pratique d’un ou plusieurs sports. Le haut niveau et ses performances ne sont là que pour servir de moteur de recrutement, c’est un moyen mais pas l’objectif.

 

Quel(s) diagnostic(s) dressez-vous des actions liées à ces objectifs au sein des fédérations ?

Le formatage du système actuel pousse les fédérations à investir massivement pour la performance. Il suffit de plonger dans la répartition des budgets et du temps de parole accordé lors des différents comités directeurs sur chaque pôle des fédérations. La majorité du temps d’échange est accaparé par les questions de haut niveau, de compétition et de performance.

On ne parle que très peu d’éducation, de loisir, RSE, de l’action sociale que peuvent avoir les structures sportives dans la société.

 

À ce sujet, en tant qu’expert data et digital, par quel(s) biais faites-vous parler les chiffres ?

J’alloue une grande partie de mon temps à la collecte des données des licenciés archivés sur plusieurs décennies. Ensuite je priorise les caractéristiques essentielles dans la compréhension des comportements des licenciés et je recoupe tout cela dans des tableaux croisés dynamiques. Je n’invente rien !

 

Justement, pouvez-vous nous dévoiler les variables essentielles à étudier selon vous pour une fédération ?

D’abord catégoriser les licenciés

  • les vrais licenciés, compétitons et loisirs, ceux qui viennent au barbecue de fin de saison
  • les scolaires qui très souvent ne savent pas qu’ils ont été licenciés dans le club.
  • les catégories d’âge
  • masculin, féminin

Ensuite analyser la durée du licencié dans le temps, le taux d’évaporation d’une promotion pour toutes les catégories.

Puis s’intéresser aux clubs en prenant en compte, par exemple, le taux de renouvellement de licence, le pourcentage de femmes, la croissance ou décroissance des licenciés, son taux d’attractivité et le recouper au niveau des clubs et ligues.  Et tout cela par année ! Le travail est dense.

 

Vous laissez sous-entendre que les fédérations ont des licenciés d’une grande hétérogénéité avec des attentes complètement différentes.

C’est flagrant et cet aspect, selon moi, est sous-évalué par les fédérations notamment dans le cadre de leur communication auprès de leur relais, auprès des clubs.

Nous partons avec un taux de rotation des licences de 30% en moyenne au sein de la FFTT, 20% pour les licences compétitions et 50% pour les loisirs. Il est un peu paradoxal quand on nous explique qu’il y a moins de licenciés dans les clubs, car les gens ne veulent pas faire de compétition et de constater qu’un licencié loisir reste moins longtemps dans un club qu’un licencié compétition. Peut-être que le licencié loisir ne souhaite pas faire de la compétition tous les weekends mais ponctuellement.

Il advient donc de s’intéresser à ces clubs et aux besoins de leurs licenciés par des enquêtes ciblées.

 

Quelles conclusions tirer de manière générale ?

Le prix de la licence n’influe pas sur la reconduction, la prise de licence ou son abandon. Au contraire, et c’est paradoxal, la licence loisir est moins chère que la licence compétition, et le licencié loisir s’en va plus vite que celui qui fait de la compétition ! Plus le prix est élevé et plus le licencié est exigeant, le club et la fédération feront en sorte de répondre à ses attentes… En France le tarif d’une cotisation à un club affilié à une fédération est relativement faible par rapport au niveau de service.

Que la qualité de l’accueil et de l’encadrement au sein des clubs est déterminante. Les chiffres révèlent notamment d’énormes disparités au sein des clubs suivant le degré d’accompagnement des licenciés et de leur typologie.

 

Et concernant les fédérations entre elles ?

Contrairement à ce que l’on pourrait croire, il y a peu, ou pas, de concurrences entre les fédérations. Pourtant ces structures s’ignorent et communiquent très peu entre elles. Il y a très peu de mutualisation des ressources, d’outils notamment numériques qui permettent à chaque fédération de fournir le meilleur service à ses différentes catégories de licenciés.

 

Quelles recommandations avez-vous pu tirer de ces chiffres ?

Que les licenciés « loisirs » attendent d’être accompagnés en priorité avec une animation correspondant à leurs attentes. C’est-à-dire avec la participation de compétitions très occasionnelles, ultra-locales via des tournois internes ou des derbies entre clubs à proximité géographiques.

Il convient donc aux fédérations de former des encadrants pas seulement voués à amener les licenciés vers la performance, mais avec des compétences d’innovation en matière d’animation auprès de ces adhérents en utilisant les outils numériques adaptés.

 

En parlant d’outils numériques, on observe une tendance de pratique libre à travers des applications aux potentiels impressionnant. Qu’en pensez-vous ?

J’ai en tête le milieu des échecs auquel je me suis intéressé récemment : Les jeux virtuels ont eu une incidence assez flagrante sur la Fédération Française des Échecs. Des applications comme Chess.com où les fonctionnalités répondent aux attentes d’une part très importante des joueurs d’échecs. Idem pour le bridge ou le billard, et même le tennis de table avec des compétitions qui s’organisent désormais avec des casques en réalité virtuelle, où l’on voit l’émergence de tournois internationaux alternatifs avec primes organisés hors du giron fédéral tel Eleven France.

 

Quelles sont les pistes de financement de système d’information permettant de contrer ce nouveau phénomène pour des fédérations de tailles moyennes ?

Restons avec les échecs : en partant du postulat que le prix de la cotisation n’engendre pas de perte de licenciés, la fédération à tout intérêt à investir sur l’intégration d’un système d’information et de gestion des compétitions pour mettre en valeur ses licenciés et diffuser des résultats clairs et enrichis. Le financement peut se faire par deux leviers : une augmentation des cotisations et une aide à la transformation digitale proposée par l’ANS (Agence nationale du sport), et/ou un partenariat avec l’éditeur.

 

Évoquons la partie Système d’information notamment pour la gestion des compétitions fédérales ? Comment cela est géré au sein de la FFTT?

La FFTT dispose d’un outil central et de deux outils périphériques :

SPID est l’outil central qui vient d’être redéveloppé et qui gère toute l’administration nécessaire pour gérer des compétitions (ligue, CD, clubs, licenciés, championnats, calendriers, entraîneurs, arbitres, …).

Ensuite il y a deux outils périphériques :

  • SPID D qui fonctionne en déconnecté et qui permet de rapatrier les scores, de gérer et d’intégrer les scores des compétitions individuelles.
  • Pour ce qui est de la gestion des compétitions par équipes, la fédération utilise le logiciel GIRP, développé par un bénévole, et qui propose aux organisateurs de gérer les compétitions.

Globalement les sports individuels qui se déclinent avec des championnats par équipe ont été précurseurs de la digitalisation et de l’automatisation de la gestion des compétitions. Ils ont su répondre aux demandes des licenciés, de connaître leur classement individuel et que ceux-ci étaient aussi prêt à payer en plus pour obtenir l’information (minitel 3615…). 

 

Pour vous quelles sont les clés de l’acquisition des licenciés ?

Il y a deux leviers pour augmenter son nombre de licencié, l’acquisition d’un côté et la conservation de l’autre, et les moyens à mettre en place ne sont pas les mêmes.

En travaillant sur les leviers qui permettent de développer une fédération évoquée plus haut, la communication ciblée à partir de différents canaux comme des campagnes de pubs ou d’organisation de portes ouvertes fonctionnent.

La labellisation des clubs associatifs est aussi un excellent levier. Elle rassure les futurs licenciés et valorise le travail des membres des clubs. Le label féminin par exemple est un excellent vecteur d’attractivité.

De gros progrès sont à réaliser dans la professionnalisation de cette labellisation : Il est étonnant par exemple de constater que les 10 meilleurs clubs dans un classement donné (féminines, jeunes) ne sont pas nécessairement labellisés parce qu’ils n’en n’ont pas fait la demande.

 

Comment sont attribués ces labels ?

Usuellement, une commission interne examine les données, enquête et décerne les labels aux clubs pour 3 ans.

Cette période, encore une fois dans les chiffres, montre à quel point, en 3 ans, les choses évoluent au sein des structures membres de la fédération. En 2 ans, certains clubs labellisés féminins se retrouvent avec aucune licenciée fille.

 

Quels sont les enjeux dans l’amélioration de la communication entre les différentes strates fédérales, du siège de la fédération jusqu’au joueur ?

Il faut que les données de base soient complètes et de qualité. Ensuite, il faut limiter la ressaisie d’information. Une licence ne devrait pas être validée par le club, saisie, créée oui, mais ensuite validée par le licencié. Ce qui permettrait d’avoir des infos fiables, notamment l’adresse email et ainsi permettre à la fédération de contacter et interviewer directement le licencié.

 

Concrètement comment cela se traduit ?

Nous devons être certains que les messages envoyés au club arrivent au destinataire ! Faire en sorte que les adresses email des membres soient correctes. C’est déjà en soit un chantier prioritaire.

La création de boîtes email héberger sur notre nom de domaine pour chaque dirigeant permettrait de résoudre en partie le problème en ne permettant pas à un dirigeant de désabonner du flux d’informations de sa fédération et de permettre la continuation lors du passage de main d’un dirigeant à un autre.

 

Pour finir, comment se déroule la souscription des licenciés ?

La saisie complète des licenciés est faite par les clubs dans un système d’information, ce qui se révèle être source d’erreur dans la saisie des contacts emails des joueurs notamment. Ce processus devrait évoluer pour que le licencié finalise sa souscription dans un espace personnel. 

FFTT  FFR  

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