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État des lieux de la digitalisation du mouvement sportif vu par Benjamin Carlier, OLBIA Conseil

Interview Benjamin Carlier, OLBIA Conseil

Fondateur du Tremplin et très engagé sur les questions d’innovations relatives au marché du sport, Benjamin Carlier est le Directeur associé d’Olbia Conseil, agence de conseil sur les problématiques stratégiques pour les instances du monde sportif Français. Afin de faire un état des lieux général et des tendances qui se dégage de la digitalisation du monde sportif, nous avons posé quelques questions à cet expert des transformations digitales dans le sport institutionnel.

 

Benjamin, vous travaillez au quotidien dans l’accompagnement des acteurs du mouvement sportif. Quelle est votre vision générale de la transition digitale notamment au sein des fédérations sportives?

Mon point de vue est nuancé. Pour la majorité des acteurs, le digital fait désormais partie intégrante de leur quotidien. Plusieurs freins n’ont cependant pas facilité l’engagement des fédérations dans leur transition digitale, de l’automatisation de leur processus de gestion des compétitions à l’animation de leurs communautés de licenciés. Peut-on leur reprocher d’avoir trop tardé ? Non, car ces structures n’ont pas vocation à prendre l’initiative de l’innovation. Il est néanmoins indispensable pour elles de suivre les nouvelles tendances au plus près. Le milieu fédéral sportif est très hétérogène en termes de moyen et de capacités d’investissement, il est donc difficile de tirer des conclusions simplistes. Certaines fédérations sont en avance, d’autres un peu plus en retard.

Quel est leur regard vis-à-vis des acteurs privés du digital ou bon nombre de startups se sont créés dans le domaine du sport ?

Il y a eu forcément un peu de défiance des fédérations vis-à-vis des services innovants créés par des sociétés privées au départ. Par peur de la concurrence principalement. La pratique d’un sport libre, avec des applications de coaching, de suivi, ou de « gamification », était vue comme une menace. Mais plusieurs startups ont aussi émergé rapidement sur le marché du sport en éditant des solutions facilitant la gestion des clubs, la gestion des compétitions. Je pense entre autres à Joinly permettant le paiement des cotisations en ligne, My Coach pour la digitalisation des méthodes d’entraînement, ou Sporteasy, pour la gestion générale des clubs et des équipes.

Petit à petit, les fédérations ont constaté que ces solutions peuvent être de réels atouts pour mener à bien leurs projets sportifs et favoriser leur développement.

Comment sont perçues ces start-up, par le milieu fédéral ?

Elles sont de plus en plus acceptées par les fédérations. Mais il y a eu en effet une absence de reconnaissance de la force des startups au départ. Beaucoup d’acteurs du mouvement sportif ont initialement sous-estimé la difficulté à développer des services applicatifs digitaux. Au départ, tout paraît souvent trop simple!

Le Comité National Olympique et Sportif Français joue-t-il le rôle de catalyseur pour épauler les fédérations vers cette voie ?

Oui, le CNOSF, en organisant des événements comme la journée de l’innovation sportive, réussie à mobiliser des référents de l’innovation dans le mouvement sportif. Il signe également des partenariats avec le Tremplin pour mettre en relation les besoins avec des sociétés éditrices de solutions issues de la Sportech.

Vous êtes cofondateur de l’agence de conseil OLBIA.   Quel rôle avez-vous auprès des acteurs du sport?

Nous travaillons avec 3 types de structures : celles issues du mouvement sportif, les collectivités territoriales (régions, agglos, villes) et les entreprises du monde du sport en général. Nous les accompagnons dans leurs stratégies de développement. Nous posons des diagnostics, et nous imaginons des solutions, par exemple pour aider les fédérations à écrire leur projet sportif. Notre métier est aussi de proposer du conseil sur les questions du numérique et la gestion de la maîtrise d’ouvrage. En dernier lieu nous intervenons sur la partie communication institutionnelle, l’influence et la mise en réseau.

Comment appréhendez-vous l’écosystème fédéral sportif en France ?

On note, dernièrement, un rajeunissement des instances fédérales nouvellement élues. Je ressens aussi un mouvement qui s’ouvre aussi beaucoup plus sur l’extérieur. Des fédérations qui se reposent moins sur leur acquis et qui cherchent des pistes innovantes de développement avec de vraies stratégies d’ouverture. J’insiste encore sur le fait que le monde fédéral est très disparate : les moyens des grosses fédérations ne sont pas les mêmes et ne sont pas comparables à ceux de fédérations plus confidentielles.

Avez-vous des exemples ?

Oui je pourrais citer l’ouverture de la Fédération française de Basket Ball (FFBB) avec son ouverture sur le « 3/3 », l’e-sport, pour son avance sur les solutions de digitalisation offertes aux clubs. Le cas de la FFME est aussi intéressant avec les partenariats tissés avec les salles privées pour générer des revenus complémentaires. C’est un phénomène nouveau et porteur pour les acteurs du mouvement sportif : un travail avec les acteurs du loisir marchand pour élargir leur champ d’action et leur cible.

La FF Volley, la FF Tennis, la FF Natation ou la FFF bien sûr semblent aussi avoir négocié intelligemment leur engagement dans la transition digitale.

Les fédérations travaillent-elles entre elles ?

Il existe bien sûr toutes les initiatives portées par le CNOSF, qui sont précieuses. Mais sinon, à ma connaissance, je vois peu de communication et de mutualisation d’outils. Cela n’est pas spécifique au tissu fédéral. On pourrait faire le même reproche aux clubs professionnels ou aux collectivités publiques. Chaque fédération travaille sur son projet de développement avec des présidents qui sont élus par des représentants locaux et qui attendent des moyens spécifiques pour le développement de leurs pratiques.

Quant à la question de la mutualisation d’outils, c’est encore plus difficile du fait des différents enjeux et des attentes. Encore une fois, cela n’est pas du tout spécifique au mouvement sportif.

Travaillez-vous avec des fédérations étrangères ?

C’est compliqué, car nos activités requièrent une connaissance du modèle dans le lequel s’insère la fédération dans son pays. Ce cadre et leurs fonctions varient d’un pays à l’autre.

En Italie par exemple, le comité olympique possède un poids énorme dans la prise de décision et joue presque le rôle de ministère des Sports. Certains pays sont beaucoup moins soutenus par les financements publics qu’en France.

Les politiques liés au haut niveau changent aussi beaucoup. Par exemple, contrairement à la France, l’Angleterre adopte une politique très élitiste en mettant ses moyens humains et financiers vers un groupe restreint de disciplines sportives olympiques. Globalement il y a toujours un lien entre l’état et les fédérations. C’est le degré d’interventionnisme qui varie et change la donne.

Vous être président bénévole de la commission Innovation de la Filière économique du sport ? Quelles sont les missions de cette instance ?

La Filière Economique du Sport a été créée en 2015 par le ministère des Sports, elle regroupe les acteurs économiques du sport pour travailler autour d’enjeux communs. Un enjeu reconnaissance de la filière économique du sport pour faire poids dans les décisions stratégiques au niveau de l’état. Cela peut paraître évident, mais parler d’économie du sport est tout nouveau, 10 ans à peine. Cette entité participe à la reconnaissance de la filière économique du sport.

Avez-vous des exemples ?

Concernant l’innovation, les travaux actuels portent autour de démonstrateurs virtuels permettant de se projeter dans un stade et dans une station de ski par exemple. Nous travaillons en partenariat avec des acteurs privés comme Decathlon autour de la levée des freins à la pratique sportive.

Sur votre site, vous parlez de « secouer le sport français », qu’entendez-vous par là ?

Ah bon ?! Peut-être pour empêcher la résistance au changement que l’on note encore parfois dans ce milieu. Certaines personnes ont tendance à rester dans leur zone de confort alors que le monde du sport bouge vite. Nous voulons un sport dynamique qui s’adapte aux attentes des pratiquants qui évoluent très vite, toujours plus vite.

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